vendredi 22 avril 2016

Enquête publique ligne 18 - contribution 2770 sur le registre électronique

A l’attention de M. le président de la Commission d’enquête,

Parvenu au terme de cet imposant dossier d’enquête publique, je souhaite partager mes impressions de lecture avant de donner, finalement, mon avis sur la création de cette « ligne 18 ». Disons d’abord que cette expérience d’immersion dans le document mérite d’être vécue car le texte est bien présenté, illustré de façon suggestive et qu’il ménage de nombreuses surprises ; à commencer par le titre de l’enquête, qui promet une « ligne verte » d’avantage évocatrice d’un cheminement bucolique que d’un authentique chemin de fer survolant le plateau à 10 mètres d’altitude …Cela prévient d’emblée le lecteur qu’il faudra faire la part des choses entre les ressources langagières du marketing et la mauvaise conscience des promoteurs…

L’étude d’impact, ensuite et plus sérieusement : on notera le soin apporté à caractériser dans le détail, en 90 pages, les effets du projet sur la faune et la flore (pp. 181-270) ; un tel parti-pris contraste avec la désinvolture du traitement en 9 pages des conséquences du métro sur le « milieu humain », pourtant entendu au sens large (démographie, emploi, occupation du sol, économie). Dans le même registre comparatif, la sollicitude pour les amphibiens (pp.209-214) et la compassion pour les chauves-souris (pp. 222-228) sont plus circonstanciées que l’étude des transformations plausibles de l’activité agricole (pp.319-325). Par ailleurs, la présentation des effets sur le milieu humain entendant distinguer les embarras momentanés liés au chantier et les effets durables, permanents donnent lieu à des données synthétisées sous forme de tableaux qui sont, pour la plupart, illisibles s’agissant d’apprécier la réalité future des transformations. Selon cette méthode, l’impact sur les terres agricoles semble devoir se limiter strictement à l’emprise des piliers de la voie aérienne (p.322). Cette approche pour le moins restrictive a le mérite de laisser beaucoup d’espace aux incantations quasi-grégoriennes de la SGP saluant avec ferveur la « sanctuarisation » de la ZPNAF… Mais on ne saurait mieux indiquer l’absence pathétique de désir, et sans doute aussi de capacité à penser lucidement, de façon ouverte, les conséquences plausibles susceptibles de résulter d’un ensemble aussi complexe d’interactions. Cette disposition intellectuelle se retrouve d’ailleurs tout au long du dossier au gré d’affirmations qui sont éparpillées au petit bonheur. Par exemple, des données qu’on s’attendrait à trouver dans la rubrique des effets sur le milieu humain de l’étude d’impact se trouvent dans le dossier consacré à l’évolution socio-économique et nous apprennent incidemment que l’EPAPS « porte le projet de construction de deux fois 870000 m2 afin d’accueillir 40000 étudiants (Où ? Quand ? Comment ? Mystère.)

Ce vice structurel du dossier est en fait révélateur du processus général de consultation prétendument démocratique qui a été mis en place en 2011. L’ensemble est fondé sur une dualité stratégique qui associe :
  • d’une part, un découpage spatial méticuleux donnant lieu, à marche forcée, à des débats sectorisés suivis de procédures d’enquêtes publiques (Moulon, Polytechnique, Paris Saclay Sud, etc..) ;
  • d’autre part, un fractionnement thématique suscitant des controverses (rapports entre la recherche et l’industrie, liens entre université et grandes écoles, avenir de l’agriculture, etc..) dans des forums spécialisés ne communiquant guère, voire pas du tout, entre eux. D’où l’aspect déconcertant, pour un très grand nombre de citoyennes et de citoyens de la région qui découvrent dans la présente enquête publique que toutes les questions fondamentales -qui prennent sens à l’échelle du plateau-se posent en même temps, et souvent sans esquisse de réponse rationnelle et pondérée. Tout se passe comme si, surgissant dans un paysage éclaté, le personnage vif et pimpant du métro devait se porter garant d’une totalité écologique, économique et politique alors même qu’il est impossible de cerner les effets concrets de son irruption à terme rapproché (disons 20 ans). Il s’agit d’un paradoxe qu’on peut d’autant moins approuver que cette situation d’embarras n’est pas fortuite. Depuis 2011, en effet, la SGP chuchote comme une promesse qui sera tenue quoiqu’il advienne l’existence future d’un lien idéal légitimant de nouvelles implantations (cf les CDT et ZAC évoqués plus haut) ainsi assurées de ne pas rester enclavées. Et cela peut aller très loin, par exemple lorsque la ligne 18 est invoquée pour justifier « l’urgence » de la procédure engagée dans la DUP de Corbeville (p.41) pour imposer une enquête « simplifiée ». En somme, ce métro qui n’était encore à l’époque qu’une hypothèse, une pure fiction, (il l’est toujours) devient une sorte de principe de réalité permettant de réaliser à marche forcée un grand projet d’implantation.

Ce tour de force est loin d’être le seul dans cette aventure où la SGP témoigne, il faut en convenir, d’une imperturbable souveraineté. Ainsi, quand elle affronte un avis défavorable de la Commission d’enquête concernant le CDT Paris-Saclay Sud : elle parvient à imposer l’existence d’une enquête nouvelle, dite « complémentaire » qui s’emploiera derechef à redresser la situation en multipliant les signes de bonne volonté (la lecture de son rapport est particulièrement intéressante par le nombre de fois où apparait la formule : « la commission prend bonne note des engagements du maître d’ouvrage »), laissant ainsi le champ libre à une institution à qui la loi de 2009 a donné une autorité et des moyens très considérables qui lui donnent des ailes.

Evidemment, ce constat n’est pas de bon augure au moment de donner son avis dans le cadre de cette énième enquête publique où le métro devient enfin le centre de la consultation. Mais cela ne doit pas nous décourager car la conjoncture actuelle est peut-être différente : il convient en effet de prendre la mesure des objections qui sont contenues dans les avis autorisés des instances étatiques consultées dans le cadre préparatoire de la présente enquête publique (Autorité environnementale, Cour des Comptes, STIF, SNCF, CGI etc..). Si l’on prend en considération les pratiques habituelles du langage dans les rapports officiels, on ne manque pas d’être surpris par la virulence et la portée des critiques qui visent le plus souvent la qualité des prévisions socio-économiques, le bien-fondé des projections de fréquentation, le rappel des enjeux financiers liés à la rénovation du réseau existant jugé à bout de souffle, les imprécisions graves en matière d’urbanisation etc.. En vérité, ces critiques énoncent en termes techniques appropriés des conclusions qui sont, dans l’ensemble, étonnamment proches des opinions contestataires couramment énoncées par les citoyennes et citoyens de la région et il me semble que la Commission d’enquête est particulièrement bien placée pour témoigner de cette conjonction très singulière. On ne peut certes pas attendre la même réaction de la SGP quand on prend connaissance de ses réponses aux divers interlocuteurs mentionnés précédemment. Nous nous limiterons à deux exemples : 

  • celui de la Cour des comptes qui, s’intéressant à la question d’ensemble du réseau ferroviaire en Ile de France, « recommande, d’une part, à maintenir la priorité absolue donnée à l’entretien et à la maintenance du réseau francilien existant » et, d’autre part « à opérer une hiérarchisation des projets d’infrastructures à 10-15 ans ». Si la ligne 18 n’est pas citée, (contrairement aux attaques plus ciblées de la SNCF, du STIF ou du CGI), il ne fait aucun doute qu’elle est visée directement par ce raisonnement. Aussi la réponse de la SGP ne manque pas de sel dans son extrême concision : « le rapport relatif aux transports ferroviaires en Ile de France n’appelle pas d’observation de la SGP » (p 513 du rapport 2016 de la Cour des comptes). Cette ingénuité provocatrice (qui n’est pas banale en pareille circonstance) ne surprendra pas celles et ceux qui ont tenu à participer aux séances de « concertation » car ils savent depuis longtemps que le triumvirat qui représente la SGP peut rester impavide et sourd dès lors qu’il s’agit de mettre en débat le principe et l’opportunité du métro, fut-ce à la marge et avec d’infinies précautions. 
  • La seconde réponse révélatrice de l’obstination de la SGP à déconsidérer les critiques fait suite aux remarques de l’Autorité environnementale (Ae). En 43 pages d’appréciations parfois féroces concernant tous les aspects techniques du dossier, l’Ae signifie sans détour que « l’étude d’impact ne se situe pas au niveau de précision habituel des dossiers de DUP ». Tout particulièrement pour la partie aérienne, elle s’interroge même « sur la capacité du dossier à donner tout son sens à l’enquête publique (…) voire à mettre en doute que le dossier puisse servir de support à une DUP suffisamment informée ». (p.16 de l’avis délibéré de l’Ae). La réponse de la SGP à cette mise en cause frontale du viaduc traversant le plateau est assez extraordinaire et on pourrait parler de provocation. C’est pourquoi nous recommandons à toutes et tous de prendre connaissance des pages 45-60 du dossier de réponse à l’Ae car il s’agit d’un morceau d’anthologie. D’un côté, il y a une envolée poétique qui fait du viaduc le digne héritier du Pont de Normandie ou du Viaduc de Millau, c’est-à-dire un geste monumental héroïque permettant de magnifier le survol du plateau de Saclay, en le concevant comme une expérience cinématographique : un « panoramique » ménageant « 11 séquences » rigoureusement définies qui sont propres à former un « nouvel imaginaire du plateau ». Pour se limiter à une seule citation, qui sera je pense savourée par les habitants de Saclay, Villiers, Chateaufort et Magny : « Le viaduc et la RD 36, traités dans une cohérence d’ensemble, traversent furtivement une deuxième fenêtre paysagère sur une très belle séquence de culture au droit de Villiers le Bâcle (…) une échappée visuelle (…) préservant le dialogue entre les terres agricoles et la lisière du parc du château » etc.. D’un autre côté, il y a des images, on s’en doute, et c’est l’occasion d’un véritable coup de théâtre : le fantôme du plateau de Saclay est de retour, par l’entremise de photos-montages présentant la création sans équivoque d’une zone d’urbanisation assez dense intercalée entre le village de Villiers le Bâcle et le « binôme RD36 /métro ». (voir tout particulièrement pp 56-57). Ainsi, l’Autorité environnementale avait vu juste quand elle postulait qu’une ligne de métro lourd « était conçue pour participer à une urbanisation de grande ampleur renforçant la nécessité de présenter des éléments quantitatifs » (p.18 de son avis). Plutôt que par des chiffres, la SGP préfère donc dire la vérité sous la forme d’un procédé narratif qui serait tout à fait digne de concourir dans un festival de court-métrage (le « panoramique » dure 15 minutes !) mais qui constitue à nos yeux une véritable imposture dans le cadre juridique de l’enquête soumise à notre approbation.

On peut désormais conclure en signifiant :
  • que la partie aérienne du tracé ne doit en aucun cas survivre à la présente enquête car elle représente un véritable outrage à la notion d’utilité publique, entendue dans le sens qui prévaut dans les évolutions contemporaines du droit de l’environnement et du cadre de vie, désormais « vecteur d’une conception plus complexe et intégrative de l’intérêt général » pour reprendre les termes d’une analyse récente de M. Jean-Marc Sauvé. Au sens aussi du raisonnement juridique suivi par le Conseil d’Etat dans sa décision du 15 avril dernier (Fédération nationale des associations des usagers de transport) annulant la DUP de la ligne à grande vitesse entre Poitiers et Limoges. (les deux références peuvent être consultées sur le site du Conseil d’Etat).
  • que l’enterrement éventuel de la ligne 18 entre Palaiseau et Guyancourt ne résoudrait pas pour autant toutes les questions que nous soulevons : un nouveau dossier d’Utilité publique, digne de ce nom, doit être soit soumis, donnant lieu à une synthèse approfondie des interactions entre ce moyen de transport (ou d’autres, mieux adaptés) et les différentes activités légitimes à l’œuvre dans un espace qui ne saurait être pensé qu’à l’échelle du plateau de Saclay et des vallées voisines. 

La concertation « renforcée » qui n’a pas eu lieu depuis 2011 pourra alors commencer, n’en déplaise aux affidés de la dictature de l’urgence.

Daniel Denis, le 19 avril 2016.


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